N'étant pas parvenu à me procurer le journal libération, je me suis adressée à son auteur Lisette Gries qui m'avait interviewer et elle me l'a gentiment transmis par fichier PDF ainsi que l'interview du psychologue périnatal S. Missonnier sur le sujet du bébé reborn.
Bonne lecture.
Ceci n’est
pas un bébé
TOCADE
A acheter sur
la Toile,
les «reborns»,
poupées
hyperréalistes
pour adultes,
font de plus en
plus d’adeptes.
Un nouveau
baby-boom.
Par LISETTEGRIES
Photos
BRUNOCHAROY
Des pieds et desmains de bébé
jonchent la table de sa salle à
manger.NathalieMartain attrape
un petit pot de peinture
et un morceau d’éponge pour fignoler
la tête souriante qu’elle tient entre ses
doigts. Assistante maternelle en congé
parental, cette mère de quatre enfants
fabrique depuis plus d’un an des copies
conformes de nourrissons, appelés
poupées reborn.
«J’ai commencé par curiosité,
et puis jeme suis prise au jeu. Celui-
là, c’estmon dix-septième, ce sera un
petit Asiatique.»
Quand, après des dizaines de couches
de peinture vinyle spéciale, le visage et
les membres de sa poupée en kit imiteront
les marbrures, petites veines et
autres rougeurs de la peau d’un nouveau-
né, elle implantera des yeux en
verre et des cheveux enmohair, un par
un, avant de lester, d’assembler et
d’habiller son «bébé». Elle le mettra
ensuite en vente -ou plutôt le
"proposera à l'adoption" sur sa nurserie
virtuelle (son site Internet) ou sur eBay,
où l’offre pour ces poupons hyperréalistes
explose.
Difficile de dire comment est née l’idée
de fabriquer des poupées qui ressemblent
à s’y méprendre à des nourrissons.
Les reborneuses (créatrice de bébés
reborns) américaines assurent être à
l’origine de la tendance dans les
années 90, d’autres, plus concrets,
situent le berceau de ces faux bébés à
Hollywood.Gênée par l’interdiction de
filmer des enfants demoins de 3mois,
l’industrie du film aurait fait appel à
des accessoiristes de pointe pour donner
le jour à des poupées faisant parfaitement
illusion.
Avec l’arrivée d’Internet, les reborns
séduisent rapidement la Grande-Bretagne,
puis l’Allemagne. La tendance se
développe en France depuis quelques
années. Les blogs et les sites de passionnés
–essentiellement des femmes–
pullulent sur la Toile, dans une longue
liste de noms assez kitch
"jardin des bébés de lune», «berceau des chatons»
nurserie de la petite fée bleue".
Sur les forums,les commentaires sont souvent
violents.
«bébés sans vie»,
comme ils sont parfois appelés aux Etats-Unis,
heurtent la sensibilité de nombreux internautes
qui les trouvent morbides et
les comparent à des "bébés empaillés".
Beaucoup y voient un moyen malsain
d'assouvir un désir de maternité frustré.
Valérie Camilleri, Niçoise de 40 ans le conteste.
"Je suis mère de cinq enfants, je ne suis pas en manque !
Je collectionne les reborns parce que je les
trouve beaux, ce sont des objets d’art. En
cemoment, j’en ai une vingtaine, je les revends
quand je me lasse. J’ai passé l’âge
de jouer à la poupée: je ne change pas régulièrement
leurs tenues, je ne les emmène
pas au parc.»
Fantasmes
En lisant un article sur les reborns titré«Cadavres exquis»,
Marie-Pierre Wiart 53 ans qui
s'est lancée dans cette activité il y a
deux ans près de Valenciennes s'est
emportée. Les bébés morts, elle
connaît : c'est arrivé dans sa famille.
"Et ça n'a rien à voir".
Quand je fabrique un reborn, je ne cherche
pas à reproduire l'image d'"un bébé décédé.
Au contraire, on imite les joues colorées d'un petit
bien vivant".
Le résutat, tellement conforme est pourtant
dérangeant.
Il ouvre une boîte à fantasmes.
"J'ai été approchée par une femme qui voulait
un reborn parce qu'elle n'arrivait pas à avoir
d'enfants.
raconte Marie-Pierre Wiart je n'ai pas accédé
à sa demande. Il faut quand même faire
attention à ne pas tomber dans le glauque".
Le souci du détail va parfois très loin
"Ce n'est pas parce qu'une poupée est
équipée d’un système qui imite les battements
du coeur ou le rythme de la respiration
qu’on peut le confondre avec un vrai
bébé», assire Carine Miloche, 41 ans
Mais cette collectionneuse belge, qui
tient à ses poupons commes à des
êtres vivants." a posé ses propres limites.
"Un de mes enfants est décédé en bas âge
A unmoment, j’ai eu l’idée de commander
un poupon à son image, puis j’ai eu peur
de raviver toutes les souffrances de cette ^
période, et j'ai renoncé.
«Un demes enfants est décédé en
bas âge. J’ai eu l’idée de commander
un poupon à son image, puis j’ai eu
peur de raviver toutes les souffrances
de cette période, et j’ai renoncé.»
CarineMiloche
collectionneuse belge
ZÉRODÉFAUT.
Les reborns sont essentiellement
des nourrissons. "On fige ce moment
magique de la maternité, où on est le
centre de l'attention et où l'on est
entourée de tendresse".
explique Nathalie Martain.
"C'est aussi un moyen d'avoir le
bébé de ses rêves".
Celui qui a la couleur de cheveux
idéale, le teint souhaité et zéro défaut...
Ce n'est pas ce qui a motivé Claudine, 66 ans :
j'ai toujours adoré les poupées mais, quand
j’étais petite,mes parents n’avaient pas
les moyens dem’en offrir», confie-t-elle.
Avec la retrai j’ai découvert eBay.
Jem’y suis acheté des baigneurs,
une Barbie et six
reborns.» Cette collection
elle compte la léguer
à ses filles qui sont quadras
et mères. Je veux
leur laisser quelque chose
de beau, pour quand je ne serai plus là. Et,
comme je n’ai pas de toile demaître, elles
auront deux poupées chacune.»
Les reborns sont aussi une prouesse
manuelle qui se monnaie. Compter environ
400 euros pour un bébé. Une
somme que les reborneuses justifient
par le coût dumatériel et le temps passé
à créer unmodèle. Soixante à quatre vingts
heures par pièce» témoigne
Christèle Andolfo, 41 ans, qui fabrique
trois ou quatre poupons par mois et a
décidé depuis peu d’en faire une activité
commerciale. Cettemère au foyer
est persuadée que ses bébés ont un bel
avenir.
Sylvain Missonnier, psychologue périnatal:
«Etre régressif
nous arrive à tous»
Régression, compensation,
ou simple passetemps...
SylvainMissonnier
(1), professeur de
psychologie clinique de la
périnatalité à l’université
Paris-Descartes, décrypte ce
nouvel engouement pour les
poupées reborn.
Quel regardportez-vous sur ces femmes
qui s’achètent des copies conformes de
nourrissons?
D’abord, il faut absolument se garder de
poser un jugement de valeur global. Et
replacer cet engouement dans une
perspective historique. Il n’y a en fait
rien de nouveau sous le soleil. De tout
temps, les adultes ont fabriqué des poupées
et les enfants ontmis en scène une
relation affective avec elles. Faire semblant
d’être un grand qui s’occupe d’un
petit est typique de l’humain, quelle
que soit sa culture. Quand les parents
tiennent leur nouveau-né dans les bras,
ils réalisent un rêve d’enfant.
Ce qui est neuf avec les poupées reborn,
c’est la visibilité qu’offre Internet pour
revendiquer etmondialiser sa passion.
Sur leWeb, on distingue deux types de
passionnées : les confectionneuses et
les collectionneuses. Les premières
s’adonnent à un loisir créatif qui peut
devenir unmétier très lucratif. La visite
de forumsmontre que chez les secondes,
il y a des femmes frustrées de ne
pas avoir eu de poupées étant enfant,
desmères qui veulent retrouver la sensation
de s’occuper d’un tout-petit et
des jeunes filles qui rêvent de maternité...
Nous avons tous besoin de
fictions anticipatrices pour nous construire
(romans, films, séries...), dans
lesquelles nous nous projetons.
Avec les poupées reborn,
bébés virtuels, on est
bien là aussi dans le domaine
de la simulation ludique,
mais avec un degré d’abstractionmoindre
et une sensorialité
pas seulement visuelle,
mais aussi tactile et contenante.
Faut-il y voir un signe d’immaturité?
Par bonheur, nous ne sommes pas toujours
des êtresmatures ! Il nous arrive
à tous d’être régressifs, de passer la soirée
à regarder des séries ou unmatch de
foot à la télé enmangeant une pizza. Il
n’y a rien d’alarmant, tant que c’est
ponctuel. Le problème survient quand
ça devient permanent. C’est probablement
de cela que souffre laminorité de
femmes pour qui l’attachement aux
poupées reborn est pathologique, car
addictif : elles s’enferment dans cette
simulation et se confortent dans un réseau
de militantes dures. Le reborn
n’est alors plus une stratégie pour se
sentir renaître («to feel reborn»), une
promesse de filiation, une stratégie dynamique
permettant de passer de l’humain
virtuel à l’humain en chair et en
os,mais une fin en soi, un fétiche tout
puissant et, finalement, un appel à
l’aide quimérite une réponse psychothérapeutique
bienveillante.On pourraitmettre
en perspective ces «mères»
avec les «amants» qui font plein de
rencontres sur des sites Internet dédiés,
mais qui sont incapables de franchir le
cap du contact direct dans la vie.
Recueilli par L.G.
(1) Dernier ouvrage paru: Devenir parents,
naître humain, la diagonale du virtuel, PUF,
512pp., 38€.
.
Un reborn. Il n